La figure de la femme est composée d’une série de lignes courbes, d’épaisseur variable, qui délimitent les zones de couleur. Elle est vue à la fois de face et de côté (le jaune d’une moitié du visage, qui est presque vu de face, sert à mettre en évidence le profil). En outre, le miroir reflète le personnage justifiant s’il en était besoin la compénétration des volumes. Les couleurs sont crues et complémentaires : le jaune et le violet, le rouge et le vert.
Dans sa recherche d’une nouvelle dimension de l’espace, Picasso utilise à la fois l’espace multidimensionnel du cubisme et un très vieil instrument pictural : le miroir. Les peintres se sont très souvent servis d’un miroir pour compléter l’image spatiale du sujet, pour en restituer le volume en montrant, à travers le reflet dans le miroir, le côté que la toile en deux dimensions ne réussissait pas à représenter.
Mais Picasso n’a pas besoin de miroir pour montrer son modèle sous tous ses angles : il lui suffit de tourner autour d’elle, d’en saisir les formes successives et de les représenter toutes à la fois sur la toile. Le miroir lui sert alors à redoubler cet effet de représentation simultanée d’images saisies de différents points de vue : en observant son modèle à la fois sur le vif et dans son reflet, l’artiste ne se contente pas d’un point de vue unique et immobile, mais il introduit avec le mouvement une quatrième dimension, « le temps ».
L’image est alors « décomposée » en différents plans qui se superposent et se fondent dans la composition finale grâce à la juxtaposition de ces aplats colorés, qui sont tous ici « découpés » selon des lignes souples qui accentuent le vertige spatial et la féminité. La réalité et la représentation se confondent dans la continuité des plans et des lignes, dans la agie d’un espace coloré qui implique l’observateur. « Je tiens à la ressemblance, à une ressemblance plus profonde, plus réelle que le réel, atteignant le surréel. C’est ainsi que je concevais le surréalisme, mais le mot a été employé autrement. »
Les points de vue superposés
Pour dessiner la femme allongée, la tête appuyée sur des coussins (nu féminin 1941), Picasso commence par représenter la figure selon un schéma classique, le bras gauche replié sous le visage de profil(1) ; puis il change de point de vue et l’image du sein gauche et de la jambe droite, vue de côté(2), se croise avec celle du dos, à travers le drapé à peine tracé. Puis il dessine la tête de trois-quarts et le bras levé (3). C’est-à-dire que Picasso tourne autour de son modèle, le regarde et trace en un seul dessin ce qu’il voit